La frontière entre art numérique et investissement n’a jamais été aussi fine qu’avec les NFT. Alors que les collectionneurs et créateurs français s’aventurent dans cet univers virtuel aux rendements parfois extraordinaires, le fisc français, lui, n’a rien de virtuel dans sa façon de taxer ces actifs. Que vous soyez collectionneur occasionnel ou trader chevronné, démêler l’écheveau fiscal des NFT est devenu indispensable pour éviter les mauvaises surprises.
L’essentiel à retenir :
Les NFT sont soumis à l’impôt sur le revenu en France selon un régime qui dépend de votre profil d’activité. Les particuliers bénéficient généralement de la flat tax à 30% sur les plus-values, tandis que les professionnels relèvent des BIC ou BNC. La déclaration est obligatoire même en cas de simple détention sur des plateformes étrangères.
Introduction à la fiscalité des NFT en France
« J’ai vendu mon premier NFT à 2 ETH, est-ce que je dois le déclarer aux impôts ? » Cette question revient constamment dans les communautés crypto françaises. Et la réponse est sans appel : oui.
La fiscalité des NFT en France reste un territoire en constante évolution. Depuis que ces tokens non-fongibles ont explosé en popularité, Bercy a progressivement précisé leur traitement fiscal. Contrairement à certaines idées reçues, l’administration fiscale française dispose aujourd’hui d’un cadre relativement clair concernant l’imposition des NFT.
Ce guide vous explique pas à pas vos obligations fiscales, les différents régimes applicables et comment optimiser légalement votre situation – que vous soyez collectionneur occasionnel, créateur d’art numérique ou trader régulier.
Quel est le statut fiscal des NFT en France ?
Définition juridique et fiscale des NFT
L’administration fiscale française a précisé dans une mise à jour du Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP) de janvier 2023 que les NFT sont considérés comme des actifs numériques au sens de l’article L54-10-1 du Code monétaire et financier, au même titre que les cryptomonnaies.
Cette qualification n’est toutefois pas absolue. Le BOFiP indique que la nature du NFT peut influencer son traitement fiscal : « La qualification fiscale applicable dépend des caractéristiques propres à chaque jeton non fongible et notamment des droits qui y sont attachés. »
Prenons l’exemple des Bored Ape Yacht Club, ces NFT qui confèrent à leurs détenteurs des droits de propriété intellectuelle. Leur traitement fiscal pourrait différer d’un simple NFT sans utilité.
Différence entre NFT et cryptomonnaies au niveau fiscal
Bien que classés dans la même catégorie des actifs numériques, NFT et cryptomonnaies présentent des différences fondamentales qui impactent leur fiscalité :
La jurisprudence « Théo » du Conseil d’État (décision n°437026 du 26 avril 2022), qui a confirmé le régime fiscal des plus-values mobilières pour les cryptomonnaies, s’applique également par extension aux NFT pour les particuliers réalisant des opérations occasionnelles.
Influence du type d’activité sur le régime fiscal
Votre régime fiscal dépend essentiellement de la fréquence et de la nature de votre activité avec les NFT :
- Activité occasionnelle : Si vous achetez et revendez quelques NFT ponctuellement, vous relevez du régime des plus-values sur actifs numériques (PFU 30%).
- Activité habituelle : Dès que votre activité devient régulière, vous basculez dans un régime professionnel – BIC pour les activités commerciales d’achat-revente ou BNC pour la création artistique.
- Activité professionnelle structurée : Au-delà d’un certain volume, une structure dédiée (entreprise individuelle, société) devient pertinente.
La DGFiP s’appuie sur un faisceau d’indices pour qualifier votre activité : nombre de transactions, montants impliqués, temps consacré, outils utilisés, expertise déployée. Par exemple, un trader réalisant plus de 100 transactions par an sera généralement considéré comme exerçant une activité habituelle.
Comment sont imposés les NFT pour les particuliers ?
Le régime de la flat tax (PFU) à 30%
Pour les particuliers réalisant des opérations occasionnelles d’achat-vente de NFT, le régime applicable est celui de l’article 150 VH bis du Code général des impôts : la flat tax de 30%, composée de :
- 12,8% au titre de l’impôt sur le revenu
- 17,2% au titre des prélèvements sociaux
Ce taux s’applique dès le premier euro, sans franchise ni abattement pour durée de détention. Vous pouvez toutefois opter pour l’imposition au barème progressif si cela vous est plus favorable.
Calcul de la plus-value imposable
La plus-value imposable sur les NFT se calcule comme suit :
Plus-value nette = (Prix de cession – Frais de cession) – (Prix d’acquisition + Frais d’acquisition)
Un exemple concret : Marc a acheté un NFT de la collection CryptoPunks en 2022 pour 10 ETH (environ 15 000 € à l’époque), payant 100 € de frais de gas. En 2025, il revend ce NFT pour 30 000 €, avec 500 € de frais de plateforme.
Sa plus-value imposable sera : (30 000 – 500) – (15 000 + 100) = 14 400 € Son impôt s’élèvera à : 14 400 € × 30% = 4 320 €
Le calcul peut se complexifier lorsque vous achetez un NFT avec des cryptomonnaies, car l’opération implique deux transactions imposables :
- La cession de vos cryptos contre le NFT (première plus-value)
- La vente ultérieure du NFT (seconde plus-value)
Les cas d’exonération fiscale
Certaines situations permettent d’échapper à l’imposition :
- Seuil de minimis : L’administration tolère que les opérations inférieures à 305 € au total annuel (pour l’ensemble de vos actifs numériques) soient exonérées.
- Moins-values : Elles peuvent être imputées sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année.
- NFT sans valeur : Si votre NFT perd toute valeur (projet abandonné, rugpull), vous pouvez théoriquement déduire cette perte, à condition de pouvoir prouver l’absence totale de valeur.
Une situation réelle : Suite à l’effondrement de la marketplace NFT Nifty Gateway, certains détenteurs de NFT ont pu justifier auprès de l’administration fiscale que leurs actifs étaient devenus inaccessibles et donc sans valeur.
Quelle fiscalité pour les créateurs et professionnels des NFT ?
Régime BNC pour les artistes et créateurs
Si vous créez et vendez vos propres NFT en tant qu’artiste numérique, vous relevez généralement du régime des Bénéfices Non Commerciaux (BNC), similaire à celui des artistes traditionnels.
Deux options s’offrent à vous :
- Micro-BNC : Pour les revenus annuels inférieurs à 72 600 € (seuil 2025), vous bénéficiez d’un abattement forfaitaire de 34% sur vos recettes. Simple administrativement, ce régime est avantageux si vos charges réelles sont inférieures à cet abattement.
- Déclaration contrôlée : Au-delà du seuil ou sur option, vous déclarez vos revenus réels après déduction de toutes vos charges (matériel informatique, logiciels, formations, frais de gas, etc.).
Le graphiste Thomas B., créateur de la collection « Quantum Portraits », a opté pour le régime de la déclaration contrôlée. Avec un chiffre d’affaires de 95 000 € mais des investissements importants en matériel et logiciels spécialisés s’élevant à 45 000 €, il n’aurait bénéficié que de 32 300 € d’abattement en micro-BNC, contre 45 000 € de charges réelles déductibles.
Régime BIC pour les activités commerciales
Les traders et marchands de NFT exerçant leur activité à titre habituel relèvent des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC) :
- Micro-BIC : Pour les revenus annuels inférieurs à 176 200 € (seuil 2025), vous bénéficiez d’un abattement forfaitaire de 71% (achat-revente) ou 50% (prestations de services) sur vos recettes.
- Régime réel : Au-delà du seuil ou sur option, vous déduisez l’ensemble de vos charges et frais professionnels.
L’avantage du régime réel est la possibilité de reporter les déficits sur les bénéfices futurs, ce qui peut être stratégique dans un secteur aussi volatil que celui des NFT.
TVA et implications pour les professionnels
La TVA constitue un enjeu majeur pour les professionnels des NFT :
- Ventes de NFT par des professionnels : Contrairement aux idées reçues, la vente de NFT n’est pas systématiquement exonérée de TVA. Les NFT « utilitaires » sont généralement soumis à la TVA au taux standard de 20%.
- NFT artistiques : Pour les œuvres d’art originales, l’instruction fiscale BOI-TVA-SECT-90-10 peut permettre l’application du taux réduit de 5,5%, sous certaines conditions strictes et avec une limitation du nombre d’exemplaires.
- Franchise en base : Vous êtes dispensé de facturer la TVA si votre chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 85 800 € pour les ventes ou 34 400 € pour les prestations de services (seuils 2025).
La qualification TVA dépend fortement de la nature du NFT. Par exemple, un NFT conférant un droit d’accès à une plateforme sera traité différemment d’un NFT purement artistique.
Comment déclarer correctement vos NFT aux impôts ?
Les formulaires à remplir
La déclaration des NFT implique plusieurs formulaires fiscaux :
- Formulaire 3916-bis : Déclaration des comptes d’actifs numériques détenus à l’étranger (wallets, comptes sur plateformes étrangères). Cette déclaration est obligatoire même sans transaction, sous peine d’une amende de 750 € par compte non déclaré.
- Formulaire 2086 : Déclaration spécifique pour le calcul des plus-values sur actifs numériques, permettant de détailler l’ensemble des opérations réalisées.
- Formulaire 2042-C : Report du montant global des plus-values (case 3AN) ou option pour le barème progressif (case 3BN).
- Formulaires 2042-C-PRO : Pour les professionnels relevant des BIC ou BNC.
Un cas pratique : Sophie, collectionneuse de NFT, doit déclarer :
- Son wallet MetaMask sur le formulaire 3916-bis
- Ses trois transactions de l’année sur le formulaire 2086
- Sa plus-value totale de 8 600 € sur la case 3AN du formulaire 2042-C
Déclaration de détention vs déclaration de plus-value
Attention à la double obligation déclarative :
- Obligation de déclarer la détention : Vous devez déclarer tous vos comptes d’actifs numériques ouverts auprès d’organismes étrangers (wallets, comptes sur OpenSea, Binance NFT, etc.). Cette obligation s’applique même sans transaction et même si vous êtes en moins-value.
- Obligation de déclarer les plus-values : Uniquement en cas de cession ayant généré une plus-value.
Le non-respect de ces obligations peut entraîner des sanctions sévères : amendes forfaitaires, majoration d’impôt, intérêts de retard, voire poursuites pénales en cas de fraude caractérisée.
Calendrier fiscal et dates importantes
Respectez scrupuleusement ces échéances :
- Mai 2025 : Date limite pour la déclaration des revenus 2024 incluant les plus-values sur NFT (varie selon votre département et méthode de déclaration)
- 15 Juin 2025 : Date limite pour la déclaration des comptes d’actifs numériques détenus à l’étranger en 2024
- Septembre 2025 : Paiement du solde d’impôt pour les plus-values déclarées (si non couvert par vos acomptes)
Conseil pratique : N’attendez pas le dernier moment pour rassembler vos justificatifs. La blockchain ne ment pas, mais votre mémoire peut vous faire défaut sur des transactions anciennes.
Stratégies d’optimisation fiscale légale pour les NFT
Choix du bon régime fiscal selon votre profil
Selon votre situation, certaines stratégies peuvent s’avérer payantes :
- Particulier occasionnel : Limitez le nombre de transactions pour rester sous le radar de « l’activité habituelle » et bénéficier du PFU à 30%.
- Créateur de NFT : Comparez l’impact fiscal entre micro-BNC et déclaration contrôlée. Si vos charges sont importantes (matériel haut de gamme, logiciels coûteux), le régime réel peut être plus avantageux malgré sa complexité administrative.
- Trader intensif : Envisagez la création d’une société (SASU, EURL) pour optimiser votre fiscalité si vos revenus sont élevés. L’impôt sur les sociétés à 15% (jusqu’à 42 500 € de bénéfices) peut être plus avantageux que l’IR.
L’entrepreneur David M. a ainsi créé une SASU dédiée à son activité de trading NFT lorsque ses revenus ont dépassé 150 000 € annuels. Cette structure lui permet non seulement de bénéficier du taux réduit d’IS, mais aussi de déduire l’ensemble de ses frais professionnels et de se verser un salaire optimisé fiscalement.
Gestion de la preuve d’acquisition
La blockchain conserve l’historique des transactions, mais cela ne suffit pas toujours pour justifier vos opérations auprès du fisc.
Conservez systématiquement :
- Screenshots des transactions : Capture d’écran horodatée de chaque achat et vente
- Relevés bancaires : Justificatifs des mouvements entre plateformes et comptes bancaires
- Historique des prix : Valeur en euros au moment de la transaction (sites comme CoinGecko, CoinMarketCap)
- Factures de frais : Gas, commissions de plateforme, frais de conversion
Un système organisé comme un tableur détaillant chaque opération avec ses justificatifs peut faire toute la différence en cas de contrôle fiscal.
Planification fiscale et timing des cessions
Optimisez le timing de vos opérations :
- Étalement des plus-values : Répartissez vos ventes sur plusieurs années fiscales pour lisser votre imposition et éviter de franchir des tranches marginales d’imposition.
- Compensation plus-values/moins-values : Réalisez des moins-values en fin d’année pour compenser d’importantes plus-values déjà cristallisées.
- Report d’imposition : Dans certains cas, l’apport de vos NFT à une société que vous contrôlez peut permettre un report d’imposition des plus-values.
- Donation avant cession : La donation de NFT à vos proches avant leur cession peut permettre une optimisation familiale (attention aux règles anti-abus).
Un exemple concret : Julie possède un NFT acheté 1 000 € dont la valeur atteint 21 000 € fin 2024. En le vendant immédiatement, elle paierait 6 000 € d’impôts (30% de 20 000 €). En fractionnant sa vente entre décembre 2024 et janvier 2025, elle répartit sa plus-value sur deux années fiscales, ce qui peut être avantageux selon sa situation globale.
FAQ sur la fiscalité des NFT
Les NFT reçus gratuitement via airdrops sont théoriquement imposables à leur valeur de marché au moment de leur réception, généralement sous le régime des BNC. Cependant, la pratique administrative tolère souvent une imposition uniquement lors de leur cession ultérieure, à condition que leur valeur initiale soit correctement documentée.
Pour l’airdrop NFT du projet Blur, par exemple, de nombreux contribuables français ont inclus la valeur du token au moment de sa réception comme prix d’acquisition, puis ont déclaré uniquement la plus-value lors de la revente.
Les royalties (pourcentage perçu sur les ventes secondaires) sont généralement imposables au titre des BNC :
Pour un artiste déjà sous régime BNC, elles s’intègrent simplement à ses recettes professionnelles
Pour un particulier, elles peuvent constituer des revenus non commerciaux imposés au barème progressif, avec option possible pour le micro-BNC si les montants restent modestes
Ces revenus doivent être déclarés même s’ils sont perçus en cryptomonnaies et non convertis en euros.
L’achat d’un NFT avec des cryptomonnaies constitue fiscalement une double opération :
Une première plus-value sur la cryptomonnaie utilisée pour l’achat, calculée par rapport à son prix d’acquisition en euros
Une acquisition du NFT à sa contre-valeur en euros au moment de la transaction
Exemple : Vous avez acheté 1 ETH à 1 500 €. Lorsque l’ETH vaut 2 500 €, vous l’utilisez pour acheter un NFT. Vous devez déclarer une plus-value de 1 000 € sur votre crypto, et le prix d’acquisition de votre NFT sera de 2 500 €.
Oui, les frais de transaction (gas) peuvent être ajoutés au prix d’acquisition ou déduits du prix de cession selon le cas :
Pour un particulier sous le régime des plus-values : les frais de gas à l’achat s’ajoutent au prix d’acquisition, ceux à la vente se déduisent du prix de cession
Pour un professionnel sous régime réel BIC/BNC : tous les frais de gas sont des charges déductibles
Sur le réseau Ethereum, où les frais de gas peuvent parfois dépasser la valeur du NFT lui-même, cette déductibilité est particulièrement importante.
Il n’existe pas de régime spécifique pour les collections de NFT. Chaque token est considéré individuellement d’un point de vue fiscal.
Toutefois, si vous pouvez démontrer que certains NFT forment une collection indissociable (série complète ayant une valeur supérieure à la somme des pièces individuelles), vous pourriez argumenter auprès de l’administration pour un traitement fiscal global – mais cette approche reste risquée sans jurisprudence établie.
Conclusion : Anticiper l’évolution de la fiscalité des NFT
La fiscalité des NFT en France continue d’évoluer. L’administration fiscale affine progressivement sa doctrine à mesure que le marché se développe et se diversifie. Les dernières communications de la DGFiP montrent une volonté de mieux encadrer ces actifs sans nécessairement les sur-taxer par rapport aux autres classes d’actifs.
Alors que certains pays européens comme le Portugal ou Malte ont adopté des régimes fiscaux très favorables aux détenteurs d’actifs numériques, la France maintient une position relativement équilibrée, ni particulièrement punitive, ni spécialement attractive.
Les évolutions à surveiller pour 2025-2026 incluent :
- La possible harmonisation fiscale européenne sur les actifs numériques
- L’impact de la réglementation MiCA sur la classification fiscale des NFT
- L’évolution de la doctrine administrative concernant les NFT « utilitaires » vs « artistiques »
À retenir:
- Déclarez systématiquement vos comptes d’actifs numériques et vos transactions NFT
- Documentez méticuleusement l’historique de vos acquisitions et cessions
- Adaptez votre régime fiscal à l’intensité de votre activité
- Consultez un expert-comptable spécialisé en cryptomonnaies pour les situations complexes
Sources et références:
- Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP), BOI-BIC-CHAMP-60-50 mis à jour le 15/02/2023
- Code Général des Impôts, articles 150 VH bis et suivants
- Décision du Conseil d’État n°437026 du 26 avril 2022 (« jurisprudence Théo »)
- Loi de finances 2025, dispositions relatives aux actifs numériques
- Direction Générale des Finances Publiques, note du 30 mars 2023 sur les actifs numériques
Cet article a été rédigé à titre informatif et ne constitue pas un conseil fiscal personnalisé. Les règles fiscales étant sujettes à interprétation et à évolution, consultez un professionnel pour votre situation particulière.